Sculptures
eaux-forte sur zinc, 44 x 66 cm
2019
L’évasion induit l’espérance d’une sortie hors d’un état carcéral pour recouvrer une liberté perdue. La fuite, si elle aussi se reconnaît à son point de départ, se distingue de ne pas connaître de fin : quand bien même la cause de la fuite serait l’enfermement, la liberté n’apparaît que comme une prison plus grande. Avec la fuite, on prend le large. Le grand enfermement d’où l’on ne peut sortir – qui est sans dehors puisqu’il est le dehors – est ici représenté par un dispositif à la Bentham, le panorama, inventé au temps de la Révolution française à Edimbourg par Robert Barker. Il fut conçu, non pour la surveillance, mais pour la jouissance esthétique. La question qui s’est d’emblée posée à son concepteur est celle de savoir comment allaient entrer dans cette installation fermée sur elle-même – et en sortir – des spectateurs qui se retrouvent parachutés au centre d’un paysage, inclus dans le champ de la représentation (celle, le plus souvent d’une bataille) comme témoins privilégiés sur la scène d’un fantasme – celui, bien sûr, d’entrer dans le tableau. Or, pour entrer dans un panorama il faut le plus souvent traverser un long couloir sombre, puis monter des escaliers en colimaçon qui débouchent alors au centre d’une rotonde lumineuse. Le spectateur est ainsi encerclé à tous les orients d’une fresque à 360 degrés. Reste que cette entrée sur scène est un subterfuge puisqu’elle recourt à une dimension qui n’est pas celle du panorama lui-même.
On confond souvent, sous prétexte que l’on passe par la même porte, l’entrée et la sortie : en pratiquant une ouverture directement sur le panneau du panorama, on transforme le cercle en spirale. Le tableau d'Arnold Böcklin, L’île des morts, fonctionne à l’inverse du tableau de Manet, L’Evasion, où la direction de la barque est induite par un navire que l’on aperçoit à l’horizon et qui représente la destination des fugitifs. Ainsi peut-on déterminer, au milieu de l’océan, si la barque s’éloigne ou se rapproche ; ainsi peut-on déterminer le sens de l’évasion à partir de sa visée. Rien de tel ici : pas de navire à l’horizon mais, en vis-à-vis de la barque, l’Île des Morts. Reste à savoir si l'île est la destination ou la cause d'une fuite. On se figure habituellement que la barque emmenée par un nocher va accoster sur l’île. Il suffit portant de se pencher sur le détail des rames pour en douter.